Vous êtes actuellement en conflit avec l'un de vos employés ou votre employeur et vous avez en votre possession une preuve de la faute accomplie dans le cadre de ce litige professionnel. Cependant cette preuve a été obtenue d'une manière discutable, ce qui pourrait soulever des questions juridiques au regard du droit français. En effet, la législation française a pris un tournant majeur concernant les preuves déloyales suite à un changement notable dans la jurisprudence le 22 décembre 2023. Cette évolution apporte de nouvelles règles concernant la recevabilité des preuves obtenues de manière jugée illégale ou contraire aux principes de bonne foi et de loyauté, il est ainsi essentiel de saisir l’impact de ces modifications sur la validité des preuves dans les litiges en droit du travail.
Définition de la preuve déloyale
La preuve déloyale est une preuve obtenue par des moyens qui violent les principes fondamentaux du droit, tels que la loyauté, la bonne foi ou le respect de la vie privée. En droit du travail, ces principes sont essentiels car ils visent à garantir un équilibre entre les parties, souvent inégales en termes de pouvoir (l'employeur ayant généralement plus de ressources que le salarié).
Exemples de preuves déloyales
Voici quelques exemples de situations où une preuve pourrait être jugée déloyale :
- Utilisation de moyens de surveillance illégaux : Par exemple, si un employeur installe une caméra cachée dans les locaux de l'entreprise sans informer les salariés et sans justification légitime, les images obtenues pourraient être considérées comme une preuve déloyale.
- Violation de la vie privée : Si un employeur accède illicitement aux données personnelles d'un salarié (par exemple, en consultant son téléphone ou ses emails personnels sans autorisation), cette preuve pourrait être rejetée.
- Moyens frauduleux : Si un salarié obtient des informations confidentielles de manière frauduleuse (par exemple, en piratant un ordinateur de l'entreprise), ces informations ne pourront pas être utilisées comme preuve.
Le principe de loyauté dans la preuve
En droit français, le principe général est que toute preuve doit être licite et loyal . Cela signifie que les parties doivent respecter les règles de droit lorsqu'elles cherchent à prouver leurs allégations. En matière de droit du travail, ce principe est renforcé par le fait que la relation de travail repose sur un lien de subordination, où l'employeur a un pouvoir hiérarchique sur le salarié. Ainsi, la Cour de cassation veille à ce que les moyens de preuve utilisés ne soient pas abusifs ou disproportionnés.
Évolution des lois et des décisions judiciaires sur la preuve sociale
Depuis une décision rendue lors d'une séance de cassation 22 décembre 2023 (n°20-20648, n°21-11330) et jusqu'à récemment, la jurisprudence exclut systématiquement des débats les éléments de preuve obtenus à l'inus des personnes concernées ou par le biais d'une ruse. La position de la Cour européenne des droits de l'Homme diffère cependant de cela ; elle soutient depuis longtemps que même une preuve illégale peut être admise si elle n'est pas la seule preuve présentée et est appuyée par d'autres éléments ou si la procédure dans son ensemble reste équilibrée et juste. Elle estime donc que dans ce contexte précis les magistrats doivent tenir compte de tous les éléments de l’affaire et se questionner notamment sur le respect des droits de la défense ainsi que sur la nature et l’importance des éléments en questionnement..
Décisions récentes
En décembre 2023, la Cour de cassation juge que la production en justice de documents couverts par le secret médical ne peut être justifiée que lorsqu’elle est indispensable à l’exercice des droits de la défense et proportionnée au but poursuivi. En l’espèce, la salariée, qui contestait son positionnement dans la classification conventionnelle, avait fourni des documents mentionnant le nom de patients, leur pathologie, le nom de leur médecin traitant et la date de leur intervention chirurgicale. Licenciée pour non-respect de son obligation de discrétion et de confidentialité et donc pour faute grave, elle considérait que la production de ces documents non anonymisés était la seule preuve lui permettant de démontrer la réalité de ses tâches et missions. La Cour ne la suit pas et rejette la recevabilité de la preuve, la production en justice de ces documents n’étant pas indispensable ni proportionnée au but poursuivi.
Enfin, par un arrêt du 22 décembre 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation s’aligne sur le droit européen et opère un revirement de jurisprudence, considérant désormais que, dans un litige civil, une partie peut utiliser une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits. Cette décision marque un tournant significatif en reconnaissant la recevabilité des preuves obtenues de manière déloyale, sous certaines conditions strictes. Dans cette affaire, il s’agissait d’une preuve apportée par l’employeur dans le cadre de la contestation par un salarié de son licenciement pour faute grave. Pour prouver la faute, l’employeur avait soumis au juge l’enregistrement sonore, à l’insu du salarié, d’un entretien au cours duquel celui-ci avait tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied. La Cour pose le principe selon lequel le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une preuve illicite ou déloyale porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Exemples de cas récents en droit du travail français
Depuis le revirement jurisprudentiel du 22 décembre 2023, plusieurs affaires ont illustré les nouveaux critères d'admissibilité des preuves déloyales dans le contexte du droit du travail. Voici quelques exemples notables :
- Enregistrement clandestin d'une conversation téléphonique : Avant cette évolution juridique, tout enregistrement clandestin était systématiquement déclaré irrecevable. Désormais,et depuis un arrêté de la Cour de cassation (Cass. soc., 23 mai 2007, n°06-43209) cette preuve peut être admise sous certaines conditions strictes. Par exemple, si l'enregistrement a été réalisé dans un but de défense personnelle (comme prouver un harcèlement moral ou sexuel), et qu'il n'y a pas eu d'atteinte disproportionnée à la vie privée de l'autre partie, il pourrait être considéré comme recevable. Cette nouvelle approche permet une plus grande flexibilité dans les situations où les droits fondamentaux d'un salarié sont menacés.
- Utilisation d'un compte Facebook resté ouvert : Dans une affaire spécifique, un employeur a consulté le contenu d'un échange sur le compte Facebook d'un salarié qui avait oublié de se déconnecter de son compte sur un ordinateur professionnel. Bien que cela puisse sembler constituer une atteinte à la vie privée, la Cour de cassation a estimé que, dans ce cas précis, le problème ne se posait pas, car le contenu relevait davantage de la vie personnelle du salarié. Cependant, cette décision souligne l'importance de distinguer entre les informations strictement personnelles et celles qui pourraient avoir un lien direct avec la relation de travail.
- Retranscription clandestine d'un entretien avec le CHSCT : Le 17 janvier 2024, la Cour de cassation a examiné une affaire où un salarié avait produit la retranscription clandestine d'un entretien avec les membres du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) pour prouver un cas de harcèlement moral. La Cour a finalement décidé d'écarter cette preuve des débats, estimant qu'elle n'était pas indispensable à la démonstration du harcèlement, étant donné que d'autres éléments suffisants étaient déjà disponibles. Ce jugement montre que même dans des situations graves comme le harcèlement, la méthode utilisée pour obtenir la preuve doit respecter les principes de nécessité et de proportionnalité.
Les exemples cités mettent en lumière les subtilités complexes des récentes décisions judiciaires concernant les preuves obtenues illégalement. Ils soulignent aussi l’importance, pour toutes les parties impliquées - employeurs et salariés -, d’être vigilants quant aux méthodes utilisées pour recueillir des preuves. Il est primordial que ces moyens respectent les normes juridiques ainsi que les bonnes pratiques en vigueur. Cette évolution vise à garantir un équilibre juste entre la protection des droits individuels et la possibilité d’exposer des plaintes légitimes dans le cadre d’un contentieux.